De nombreux hébergeurs et destinations touristiques, dont les stations de ski, en ont fait un nouvel argument de vente : venir en vacances tout en alternant plaisir et travail.

Me sentant visé, j’ai mené l’expérience.

Le format du séjour, en style télégramme : mi-sédentaire, mi-road-trip — Alpes suisses — 10 nuits pour 11,5 jours d’absence — 3 lieux de séjour — dégustation de 6 domaines skiables — une trentaine d’heures de télétravail.

Mettons nous d’abord d’accord sur les notions connexes, appliquées aux Alpes : Workation, Digital Nomad, Remote Worker, Coliving, Coworking.

  • Workation (Travacances ?) : des vacances à peu près classiques, pendant lesquelles on s’organise un peu de temps de télétravail, au-delà du simple suivi des e-mails et des dossiers urgents.
  • Remote Worker : personne qui télétravaille, mais à distance de son domicile habituel.
  • Le Digital Nomad : personne qui voyage tout en télétravaillant et inversement.
  • Pratiquant.e du Coliving (Co-liver & Co-liveuse ?) dans ce contexte : personne qui se pose un temps dans un hébergement en mini-communauté où sont partagés la cuisine, les espaces de vie et de travail.
  • Espace Coworking : Non, ça vous connaissez.

Ces différentes notions ne s’excluent pas : un Digital Nomad, par définition toujours en Remote, peut par exemple très bien pratiquer le Coliving. Confus ? Moi aussi …   ; )

Mon expérimentation est bien évidemment celle d’un petit joueur, comparé notamment aux « vrais » Digital Nomads qui passent plusieurs mois ou plus en Remote. Ce n’est alors plus un simple workation, et pour quelques-uns, c’est devenu un mode de vie.

Dans tous les cas, une question se pose : comment aborder et justifier le surcout de l’heure travaillée ?

Surcout pour le workation « simple »

Ce n’est pas la partie la plus inspirante, mais c’est un peu l’éléphant dans la pièce : les heures travaillées en Remote représentent un cout inhabituel. Soit c’est un surcout pour les vacances, sinon c’est un surcout sur vos frais de fonctionnement.

Alors comment justifier ce surcout, sur la ligne entre le prix du bien-être personnel et le prix d’un éventuel gain de productivité ? Surtout si on souhaite pratiquer le Remote souvent et/ou longtemps.

Difficile de répercuter ces frais sur vos clients. Si vous êtes freelance, il faut probablement considérer et comptabiliser ce poste comme une dépense personnelle. Sauf si vous avez envie de jouer avec les limites du fiscalisable, ou que vous considériez que votre productivité se trouve décuplée … hmm.

Selon les hypothèses de calcul, j’arrive à un supplément de 11 € à 13 € pour chaque heure de travail effectif, en proratisant ces heures sur l’ensemble des heures diurnes passées en séjour (Sur base de 16h théoriquement ouvrables par jour). On peut faire un peu moins, mais également beaucoup plus, suivant les dépenses sur place, le standard d’hébergement, le fait de s’inscrire dans un coworking, etc.

Que l’on soit freelance — avec ou sans bureau permanent dans la région de domicile–, profession libérale, dropshippeu.r.se, salarié.e indispensable, cadre workaholic  ; que l’on soit Digital Nomad permanent, en Workation, en séminaire Work & Play en équipe ou en Coliving d’un mois : chaque situation est différente et s’apprécie sur pièce, et il y a certainement d’autres façons d’aborder ces calculs.

 

Coworking Alps

 

Les espaces coworking

Les espaces coworking pullulent un peu partout, mais leur valeur ajoutée semble discutable : vous avez déjà payé un logement de vacances avec du wifi. Leur bénéfice serait donc avant tout social, pourvu qu’il y ait du monde (Certains espaces coworking sont tristement vides), et que les coworkeurs soient immédiatement intéressants (Pas garanti d’avance). C’est bien évidemment très adapté pour des équipes constituées.

Ou alors, comme plusieurs récits le suggèrent : pour ceux qui sont en famille, le bureau coworking devient une pièce supplémentaire à l’hébergement de vacances, où l’on peut s’échapper du reste de la tribu pour se concentrer. Ça devient du Double Remote, de la rupture dans la rupture. L’intérêt est alors plus dans le « Work » et moins dans le « Co ».

Certains propriétaires de résidences secondaires sont d’ailleurs de formidables Remote Workers, depuis bien longtemps.

 

Coliving

Si vous montez d’une marche, vous arrivez au Coliving & Coworking : dans un hébergement touristique, par exemple un grand chalet, vous partagez les espaces de vie et de travail avec des inconnus « qui vous ressemblent » sur plusieurs jours, semaines ou mois. Plusieurs mécanismes existent : les participants se retrouvent réunis suite à une démarche individuelle et spontanée, ils peuvent être issus d’un des réseaux de Digital Nomads déjà structurés (p. ex. Coliving Hub ou Digital Nomad World), ou ce sont des équipes constituées pour une « company retreat ».

La dynamique fonctionne le mieux s’il y a un Capitaine de Coliving, qui anime discrètement la vie et le travail en communauté (C’est plutôt un Chalet Host, et non pas un animateur de club de vacances).

À la base, partager la cuisine fait un peu le charme du Co-Living, mais il existe également des formules avec pension, en chalet ou à l’hôtel.

On trouve des exemples de ces concepts, chaque fois un peu différent, à Adelboden, Bansko, Beaufort, Briançon, Chamonix, Grimentz, Les Arcs, Morzine et Zermatt.

La promesse selon Swiss Escape :

 

« Imagine living with people that inspire you every day
 and waking up to the panoramic view of the Alps.”

 

Allez dire ça à vos proches : « Chéri.e, je m’absente deux mois pour rejoindre des inconnus qui m’inspirent. ».

Ça dessine bien les contours de la cible, si vous aviez encore des doutes : solos ou jeunes couples sans enfants.

En plus de la vie en mini-communauté, dans une ambiance de préférence cosmopolite, les Co-Livers se retrouvent pour partager et interagir sur leurs problématiques métier ou business, ou pour assister à des événements ou mini-conférences spécifiques pour Digital Nomads. Le Coliving peut alors réellement apporter de la valeur, en stimulant la créativité, comme levier d’apprentissage, en étendant le réseau, ou en révélant des opportunités de business. Le regard sur la productivité change et la justification économique devient plus facile.

Avec un budget de 900 € à 3000 € par mois en Coliving pour le seul hébergement sans repas, un mois dans les Alpes coutera généralement bien plus qu’un mois à la maison, sauf si habituellement vous vivez à New York, Zürich ou Singapore (et à 900 € vous êtes en chambre partagée ou dortoir). Et si vous payez déjà un loyer ou remboursez un emprunt pour votre domicile principal, ça mérite quelques calculs.

 

Tendances

Même si on commence à voir des offres pour des emplois salariés en télétravail, certains métiers sont plus Nomad-Compatibles que d’autres, notamment ceux qui sont également freelance-compatibles : marketing digital, informatique et développeurs web, data scientists, coachs ou enseignants digitaux, travailleurs de l’image, traducteurs, journalistes, copywriters, certaines activités autour du droit ou de la finance, et quelques autres.

On peut avoir l’impression d’assister à un boom, et pourtant, quelques lieux ont déjà fermé : les sites Coliving du réseau Outsite à Lake Tahoe et à Klosters/Davos, ou le coworking Alpmade à Crans-Montana. Ce dernier avait ouvert en 2016.

 

Productivité et articulation entre Work et Play

Logiquement, les samedi et dimanche deviennent vite des jours ouvrés.

J’ai trouvé le meilleur équilibre en alternant des journées entières loisirs avec des journées complètes au travail, d’autres préfèrent alterner par demi-journées. Les communautés Coliving partagent également volontiers des moments de loisirs ensemble, et le rythme par demi-journées semble alors plus évident. Même si les témoignages confirment que se concentrer après une grosse matinée de ski n’est pas toujours facile.

Mais c’est sans aucun doute quelque chose de très personnel, et fortement dépendant du métier autant que du type d’activités de loisirs.

La productivité, ou simplement la faculté de pouvoir se concentrer, dépend probablement également du métier que l’on exerce. Créer une petite bulle immersive m’a été relativement facile, et j’ai été étonné de ne pas me sentir constamment dérangé par l’appel du beau temps et des loisirs tout autour.

 

Bilan carbone

Bilan carbone transport : Au prorata des heures de travail effectif sur les heures de loisirs, il était équivalent à celui de quelqu’un qui parcourt 200 km par semaine en voiture dans le cadre professionnel et/ou le trajet domicile-travail. Si on intègre la totalité des km, ça devient plus douloureux, mais également plus difficile à juger.

Bien évidemment ce bilan peut être bien plus favorable, mais également tout à fait catastrophique, selon le mode qui est choisi. Partir à Briançon en train et y rester deux mois, ou à l’autre opposé vivre l’aventure Digital Nomad en vieux camping car diesel retapé, roulant des milliers de kilomètres dans le froid … pas besoin de faire un tableau.

 

Conclusion

Certains voient l’émergence de nouveaux modes de vie, qui se serait accélérée avec la pandémie Covid-19. Rechercher un nouvel équilibre travail & vie personnelle, explorer le monde et rencontrer des gens « qui vous ressemblent », vivre une vie inspirante, mais tout en confort et avec un je-ne-sais-quoi presque mondain.

Ce mode de vie et de travail ne s’adresse néanmoins qu’à une petite partie de la population qui peut se le permettre sur un plan économique, technique et familial.

On peut être ébloui par cette promesse romantique de liberté instagramable, la Nouvelle Aventure Urbaine en dehors de la ville. Mais selon le mode opératoire, le bilan carbone peut être très mauvais. Pas de fleurs bleues à tous les étages.

Pour toutes ces raisons, j’hésite pour y coller une étiquette sociale (*), entre deux idées opposées : « New World Nomad » ou « Petit Bourgeois Futile » …

 

30 janvier 2022

 

(*) Les étiquettes sociales sont généralement le résultat « à posteriori » d’un bon exercice de segmentation sophistiqué, mené avec rigueur et méthode. Je me suis permis ici d’en imaginer deux de façon parfaitement instinctive et caricaturale, sans méthode, juste pour provoquer un peu. Mais ça, vous l’aviez déjà compris.